Un moment que
je n’avais rien écrit, ni publié : la majorité des migrateurs commençaient
à peine à revenir, et j’avais donc peu à observer et commenter ; mon
travail et mes autres obligations me laissaient moins de temps disponible qu’avant ;
et de plus, j’étais plongé dans la lecture des œuvres de Simone Weil, chez qui
je trouve une fascinante résonance avec certaines de mes envolées. Alors que
les parcs, rivières et forêts se peuplent à nouveau de mes sujets d’étude
favoris, et que bientôt les scouts les y rejoindront, le besoin se fait sentir
de récapituler les découvertes les plus marquantes de ce blog depuis son début.
Tout comme l’oiseau fait son nid, formaliser sa pensée aide en effet à y mettre
de l’ordre. Cependant, ces quelques réalisations sont à la fois partiales, et
partielles : partiales, parce qu’elles ne procèdent que de mon point de
vue, et n’ont pas été sujettes à la confrontation intellectuelle ;
partielles, car loin de former un tout cohérent, et encore moins un système, il
est assez facile d’y trouver des contradictions. Néanmoins, en un très bref
résumé, voici où le vent a porté ma pensée en un peu plus d’un an.
Il existe au
moins deux manières de parvenir à quelque chose. Il y en a peut-être d’autres,
mais je n’ai pour l’instant identifié que ces deux-là. La première est de
définir un objectif, ainsi que les jalons pour l’atteindre, puis de mettre en
face les moyens et les indicateurs qui mesurent le rendement de ces
moyens : c’est la démarche de projet, que j’appelle, en éducation, la propédeutique (je n’ose pas généraliser au-delà des domaines que je pratique).
La deuxième est de se laisser dépasser par le mouvement, à la manière d’un
pèlerin ou d’un artiste en pleine création : c’est la maïeutique. Dans
cette démarche, même si le point d’arrivée est parfois prédictible
(Saint-Jacques-de-Compostelle, le portrait d’un roi ou d’un grand patron…)
c’est le cheminement pour y arriver qui façonne à la fois l’ouvrage, le métier
et l’ouvrier : l’efficience n’est pas mesurable.
La grâce est
la transposition de la maïeutique pour les chrétiens. Simone Weil a génialement
interprété la descente de l’Esprit-Saint à la Pentecôte comme un dépassement
par une vérité d’ordre supérieur, tel que déjà évoqué par Platon, tout en lui
donnant un caractère sacré. A l’opposé, puis-je associer mon concept de
propédeutique à ce qu’elle appelle la pesanteur, c’est-à-dire à tout ce que
tente l’humain en ne comptant que sur ses propres forces, c’est-à-dire à
l’hubris ? J’hésite car Donald Trump semble penser, lui, au contraire, que
c’est l’hubris qui enclenche le progrès, et que l’abandon à la providence est
une faiblesse, donc une faute : aide-toi, et le ciel t’aidera. Je n’ai pas
encore d’avis tranché sur ce point.
L’imagination
humaine est largement moins étendue que la Création, qui est, en tout cas pour
le moment, incommensurable. C’est-à-dire, que notre pensée n’est jamais capable
de saisir toute l’étendue du réel : la preuve en est bien, par exemple,
que beaucoup de grandes découvertes scientifiques ont été faites par hasard.
C’est pourquoi il est faux de dire, en matière d’éducation, que grandir
consiste à échanger un pouvoir imaginaire illimité contre un pouvoir réel, mais
limité. C’est une phrase qu’affectionnent plusieurs éducateurs fameux, mais
rédigée de cette façon elle ne semble mener qu’à l'oppression, et donc en
réalité à la révolte ; amenons plutôt à la conscience de l’enfant que le
réel sera toujours bien plus grand et jubilatoire que son imagination étriquée
ne pourra jamais le concevoir. Il faut donc opposer à un enfermement dans la
solitude de l’imaginaire, une libération par le passage au réel ; c’est,
en même temps, un indice ontologique de la vraisemblance de la matière au-delà
de nos sens, qui peuvent être trompeurs. En effet, si surprise il y a, elle ne
peut provenir que d’une altérité. L’amour est un autre indice de ce genre.
Tant qu’il y a
de la vie, il y a de l’espoir. Ce diction tout simple est une réponse à lui
seul à l’une des trois grandes interrogations existentielles, celle de
l’intérêt de notre vie terrestre. La mort seule nous prive de la possibilité d’une
révélation ou d’une conversion. Bien sûr, cette position est toujours plus
facile à tenir en l’absence d’une maladie, d’une peine ou d’une souffrance
durable.
Il n’y a pas de cohérence entre notre désir de justice et les ressources disponibles. Je ne
parle même pas de l’existence du mal, mais de l’équation entre notre aspiration
au Bien et le réel. Le règne animal, par exemple, évolue selon des règles très
différentes du droit et de l’équité. Les mondes macroscopique, microscopique,
ainsi semble-t-il que l’immense majorité des planètes rocailleuses qui peuplent
les galaxies ne connaissent rien à la répartition des richesses ; et il
reste à découvrir ce que penserait des Lumières une civilisation
extraterrestre, si nous en rencontrons une un jour. Même sur notre petite
Terre, nous nous sentons maintenant à l’étroit alors que notre espère n’a
jamais été aussi nombreuse ni n’a vécu dans des conditions aussi confortables, pour
la plupart. Autrement dit, le monde des Idées et du bien, s’il existe, ne
semble transposable qu’à une infime partie de la Création, et entre parfois en contradiction
avec ses lois. Pourtant, selon l’unicité du bien que devrait supposer le
monothéisme, et qu’on retrouve par exemple dans la
Communion des Saints, toute l’espérance, la science et l’Histoire devraient
converger vers les bras grands ouverts de la Croix ; je n’ai pas de
réponse à cette contradiction.
Enfin, puisque
je me suis déjà perdu dans les splendeurs célestes, voilà que traversent
peut-être les infinis galactiques de très gros canards, qui survivent dans le
vide sidéral, forment des écosystèmes à eux seuls, et essaiment la vie de
planète en planète. Ils sont, s’ils existent, une négation de notre audace à
nous penser l’aboutissement de l’évolution : l’apparition de la conscience
en est peut-être, au contraire, une anomalie. Cela ferait en même temps notre
fierté : libérés du devoir envers une Mère Nature dont nous ne serions que
les rejetons indésirables, nous n’aurions plus à compter vraiment que sur
nous-mêmes pour tracer notre propre voie.
Voilà où m’a
mené, jusqu’ici et pour l’essentiel, l’observation des palmipèdes (ainsi qu’un
peu celle des scouts, aussi). Tel une oie bernache qui s’empiffre dans un
jardin municipal bondé de touristes avant de lourdement s’envoler pour le
festin suivant sur la trajectoire où ses instincts l’attirent, je dois à
présent quitter le confort de mes convictions passées pour affronter les alizés
nouveaux. Mon ambition pour la suite est bien loin de construire un nid, encore
moins d’y pondre un œuf, mais simplement de collecter les quelques brindilles
de vérité éparses que je peux remarquer au hasard de mon parcours : c’est
là tout le loisir que me laisse mon temps libre.
Père Canard
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