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vendredi 26 janvier 2024

La théorie des oiseaux-monde

 

C’est, je crois, dans la mythologie finnoise que l’Univers naît d’un œuf de palmipède. L’oiseau majestueux se pose sur les bords d’un lac gelé et y dépose la matrice de toute vie, d’où le reste du monde se déploie chaleureusement. Merveilleux conte qui exalte les paysages nordiques ! Le canard pour sa part m’a toujours impressionné par ses vertus : magnifique, agréable à la vue autant qu’au palais, il nous chauffe de son duvet douillet et nous émerveille de son envol saisonnier, par-dessus nos villes grisâtres avant et après l’hiver.

Parmi les oiseaux, c’est juste ensuite le martinet qui tient dans mon cœur une place de choix. Son adaptation à la vie aérienne est si poussée, qu’il ne se pose quasiment plus que pour nicher. J’aimerais imaginer la suite. Posons l’hypothèse que les quelques singes qui nous servirent d’ancêtres finirent dans l’estomac de grands tigres, au lieu de ramasser un bâton pour se défendre contre eux. Aucune espèce intelligente ne prend le pouvoir sur Terre, et les oiseaux poursuivent paisiblement leur évolution. On verrait, peut-être, un croisement de ces deux précédents volatiles, les palmes devenues inutiles se déformant pour accueillir les œufs, abolissant ainsi le dernier ancrage qui les liait encore au sol rugueux. L’oiseau total est né, il ne se perchera plus et peut maintenant coloniser les hautes sphères.

L’évolution avance, et comme dans tout milieu vierge, ainsi que ce fut le cas lorsque de grouillants poissons émergèrent des océans au Dévonien, la diversification se fait très vite entre espèces nouvelles, prédateurs et proies. La conquête des altitudes les plus élevées répète à l’harmonique ce qui s’est passé lors de celle des terres émergées. Les organismes s’adaptent et les espèces entrent en compétition. Des symbioses se forment, entre volatiles mais pas seulement, des microbes, champignons ou insectes profitant de l’occasion pour accéder aux cieux sur ces passerelles vivantes.

Encore quelques millions d’années, et ils peuvent se passer d’une source extérieure d’oxygène pendant quelques temps, tout comme les dauphins et les baleines. Ils se dotent de baudruches impressionnantes, qui accroissent d’autant leur envergure. Les plumes se solidifient pour fortifier ces ballasts ; les sens s’adaptent à la dépression stratosphérique. Les lichens, mousses et petits arthropodes qui grouillaient à leur surface se replient derrière cette coque protectrice : voilà un écosystème complet qui s’organise et s’isole du monde extérieur, comme un tore de Stanford caché derrière un grand canard. L’hébergeur pourraient même y trouver là sa nourriture, renouveler son oxygène, produire de l’hydrogène pour s’alléger davantage ou se propulser, et moins ressentir le besoin d’interagir avec l’environnement extérieur.

Imaginons enfin une dernière étape où ils ne sont plus limités par le vide de l’espace, se protègent des radiations et s’affranchissent progressivement de la gravité. Tranquillement, une première espèce vient parader sur la Lune ; puis comme de juste les prédateurs suivent, et la course les emmène de plus en plus loin : Mars, Jupiter et ses lunes, puis au-delà.

 

En supposant quelques instants que ma petite élucubration ornithologique soit vraie, cela entraîne plusieurs conséquences que je m’amuse à imaginer.

Premièrement, l’Univers est peuplé de baleines spatiales. Ces goliaths à la complexité biologique infinie parcourent les galaxies en tout sens dans l’attente de rencontrer un congénère, car le même processus peut aussi bien faire écho sur d’autres planètes hospitalières. Ils ont développé des facultés supraluminiques, à moins qu’ils ne se traînent tranquillement pendant quelques milliers d’années dans une sorte de balance gravitationnelle, en demi-sommeil en attendant de retrouver la chaleur d’une étoile. Ils peuvent même, pourquoi pas, bondir d’un Univers à l’autre, ayant appris à écarter le canevas de l’espace-temps pour papillonner entre différents lieux. L’imagination rend difficile à atteindre la variété des capacités que la sélection naturelle offrirait à des êtres vivants capables de se mouvoir dans l’espace par eux-mêmes ; en tout cas ils n’ont nul besoin d’une conscience propre pour tout ceci. Ce sont des systèmes autonomes, mais sans capacité de réflexion, ce ne sont pas des êtres intelligents comme nous l’entendons. Il faut bien leur donner un nom : je ne me rappelle plus hélas l’auteur ni le titre, mais un roman de science-fiction qui abordait déjà cette hypothèse avait inventé le mot « ayetrix » ; pourquoi pas, cela conviendra.

Autre conséquence, qui nous concerne plus directement, nous ne sommes plus les enfants chéris de Mère Nature. C’est l’ultime révolution copernicienne : l’humanité, forte et fière de sa conscience d’elle-même, s’imaginait comme l’aboutissement glorieux du processus de sélection. Plus généralement, nous voyons comme inexorable l’apparition d’une espèce intelligente au fruit de la complexification de l’arbre de vie au cours du temps, et nous étendons ce raisonnement aux autres astres en nous demandant si nous sommes les seuls enfants des étoiles. Nous nous disons, si ce n’avait pas été nous, ç’auraient pu être les cétacés, ou les poulpes, qui auraient pris le pouvoir sur Terre. Manqué : nous voilà jetés hors du berceau doré, et à la place, on y trouve une volaille stupide et gonflée ! Nous n’avons rien du fils prodigue, nous ne faisons même plus partie de la maisonnée : non, nous sommes à peine la fouine dans le grenier. L’indésirable, celui qui n’est doté de rien et qui n’a pour lui que ce qu’il réussit à dérober, c’est en un mot, le parasite : il n’a jamais été prévu au programme. Comme espèce douée de conscience, nous ne sommes le résultat que d’un déraillement de l’évolution.

On peut définir la téléologie comme la direction prise par la sélection naturelle, sans qu’aucune forme de volonté n’influe sur le résultat de cette évolution : une direction sans intention. C’est, dans ma perspective, l’envoi dans l’espace qui en est l’apothéose. La vie conquiert d’abord les océans sous forme microbienne, puis se déploie en des incarnations multiples, puis avance sur les terres, invente le vol, trouve le fuselage qui convient le mieux pour s’élever de plus en plus haut et enfin se libère de cette coquille planétaire pour aller voir ailleurs. (Je n’en déduis pas nécessairement que la vie essaime uniquement de système planétaire en système planétaire, sans apparaître parallèlement en quelques endroits : c’est un peu comme la question de l’œuf et de la poule à plus grande échelle, il faut bien commencer quelque part.)  En tout cas, pas besoin d’intelligence là-dedans. Dans l’équation de Drake, c’est le cinquième coefficient, celui qui dirige l’apparition d’une civilisation sur une planète propice à la vie, qui tend vers zéro : non seulement il n’y a pas de copains ailleurs dans l’Univers, mais nous ne devrions pas nous y trouver nous-mêmes. Autrement dit, c’est un principe anthropique nul : les constantes fondamentales de la physique et autres caractéristiques des particules élémentaires sont en effet particulièrement adaptées au déploiement des formes de vie, mais pas spécialement de la nôtre !

Je me déplace sur le terrain social et politique pour bien comprendre les implications de ce fait. En tant qu’héritiers de Mère Nature, nous étions délégataires de la conservation du bien commun. Dans la Genèse, Dieu donne autorité à Adam et Eve sur les différents animaux et plantes ; et dans la vision militante actuellement en vogue, nous portons une responsabilité vis-à-vis de la préservation de l’environnement dont nous sommes issus, comme un enfant devenu adulte doit protéger ses parents bien-aimés. C’est devenu un argument en faveur de ce qu’on appelle en politique la transition écologique. Mais, si nous ne sommes plus les héritiers présomptifs, tout change : étant dégagés de notre destinée, nous sommes également libérés de notre charge, c’est-à-dire que nous sommes infiniment libres. Je ne suis pas en train de dire qu’il faut détruire les écosystèmes à tout va, ni de contester les rapports du GIEC : nous continuons à subir les conséquences de nos actes, et tant que nous serons coincés sur notre petite Terre, nous risquons toujours de manquer d’air pur. Mon point est simplement que nous n’avons plus qu’une responsabilité empirique et non morale ! Si nous gérons mal les ressources limitées de notre planète, nous ou nos enfants risquons de perdre en qualité de vie, mais c’est une conséquence de nos choix, pas une culpabilité transcendantale. S’il y a un coupable, c’est celui de nos ancêtres qui a lancé le processus en ramassant le fameux bâton pour en faire une lance, mais aucun glaive divin ne viendra jamais nous en châtier. Le Grand Architecte, s’il existe, n’avait rien planifié d’autre pour l’Univers qu’un poulailler.

La similarité me frappe entre la notion de péché telle qu’on la trouve dans les religions monothéistes, avec toute la dimension du jugement dernier qui va avec, et puis du Salut individuel ou collectif, et les menaces eschatologiques que font peser sur nous les perspectives climatiques. Le pollueur est-il un pécheur ? Encourt-il une conséquence spirituelle pour avoir dégradé l’environnement, au-delà des répercussions purement d’ingénierie climatique telles que la montée des eaux ? La même harmonique se retrouvait avec la bombe atomique pendant la guerre froide, finalement : cette idée qu’une oppression grandiose nous dépasse et peut nous frapper à tout moment, anéantissement nucléaire, catastrophe climatique ou dies irae. Peut-être même qu’il s’agit là d’un ciment indispensable à toute civilisation, une épée de Damoclès obligatoire pour ne pas sombrer dans la barbarie et le chaos en l’absence d’une menace sourde… mais cela voudrait dire que la morale est le principal obstacle à la liberté.

Tout cela ne part bien sûr que d’un pur exercice intellectuel d’ornithologie. Il n’est pas dit qu’on trouve un jour des palmipèdes de la taille de Ganymède flottant dans le vide. Je voulais simplement souligner qu’il ne faut pas aborder les problématiques environnementales par le côté oppressant, mais d’abord découvrir la nature et l’apprécier tout en voulant la protéger ; de la même façon le bon chrétien donne aux pauvres par charité et par amour du prochain, et non parce qu’il se sent coupable d’être riche.

 

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