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vendredi 30 août 2024

Le scoutisme est-il discriminatoire ?

 

L’histoire du Vilain petit canard nous enseigne que l'apparence première est souvent trompeuse, et s’il faut en croire La Fontaine, un grand bienfait peut venir de qui n’est pas de son espèce, et d’où l’on attendrait pourtant peu. Les poules, à cet égard, couvent volontiers tant pour les paons que les cygnes, tant pour les dindes que les oies, et tout autant pour d’autres résidents de la basse-cour. Pour peu qu’on leur place les œufs avec justesse, elles s’y dévouent et leur tendresse maternelle s’étend bien après l’éclosion, alors que leurs poussins d'adoption les dépassent parfois en envergure, et que tant ramage que plumage diffèrent ; elles ne les renient pas pour autant. Quant aux coucous, ils ont érigé la mixité en art de vivre, et c’est sans vergogne qu’ils profitent de l’altruisme de leurs hôtes : que les oiseaux se lancent un jour en politique, et voilà un parfait pont d’envol pour un parti fort droitier !

Les chefs et les cheftaines qui ont déjà été confrontés à l’accueil d’un enfant porteur de handicap dans leur unité se sont certainement demandé jusqu’où doit porter leur engagement bénévole. Il existe, dans les mouvements, des branches dédiées à la pratique du scoutisme adaptée à ces personnes, et c’est une très bonne chose ; mais ici, j'évoque le cas concret d’une demande de la part de la famille de l'enfant, de l’inscrire dans une troupe ordinaire. J’y ai été personnellement confronté au moins trois fois, et ce n’est pas une réponse facile à donner. J’ai pu constater que l’intégration réussie d’une personne déficiente ou différente procure de grandes joies réciproques, mais seulement dans le cas de pathologies plus légères : dépression, autisme, une jeune fille qui revenait toute plâtrée d’un accident de voiture, etc. Les autres scouts sont alors très solidaires pendant le camp et aident au mieux la personne concernée, qui retrouve confiance : l’enrichissement est mutuel. En revanche, pour accueillir un handicap plus sévère (personne en fauteuil, retard mental...), j’ai toujours dit non, car je ne m’en sentais pas capable.

Un non, ce n'est jamais sans remords. Les chefs se mettent-ils en défaut, d’un point de vue au moins moral, si ce n’est légal, s’ils refusent, car ils estiment que malgré toute leur bonne volonté, ils ne sont pas prêts à gérer la difficulté au quotidien ? Ou bien doivent-il tordre le cou à la méthode scoute en lissant les activités, au risque de consacrer moins d’attention au reste de la troupe ? C’est en effet cette méthode, inventée par Baden-Powell, qui caractérise la pratique du scoutisme. Les différents mouvements la déclinent chacun dans une perspective qui leur est propre, mais les huit piliers de base restent les mêmes. Or, si une famille, pour permettre l’insertion de son enfant malgré sa différence, nous demande de renoncer à certains de ces fondamentaux, jusqu’à quel point la maîtrise peut-elle faire des concessions sans se renier ?

Ces couacs à l’inclusion ne sont pas limités au handicap. Le milieu social, par exemple, joue beaucoup sur l’attractivité : une certaine fois, alors responsable d’une petite troupe composée d’enfants d’agriculteurs, la plupart nouveaux dans le scoutisme, je les ai vus tomber de haut lors d’un rassemblement régional où quasiment tous les autres venaient d’un milieu catho-bourgeois de centre-ville. Je leur ai rappelé que nous portions tous la même chemise ; mais certains des autres groupes, pas tous, me semblaient assez fermés et contents de leur entre-soi.

Pour les chrétiens, la question s’inverse, car plutôt que d’exclure, il s’agit de rendre le scoutisme universel. C’est le sens même du mot catholique : offrir l’Evangile à tous, sans exception, est un devoir spirituel et le scoutisme est un moyen de prosélytisme parmi d’autres. Il faut donc accueillir le plus grand nombre possible d’enfants, quelle que soit leur condition : leur conversion ultérieure est, sans que ce soit l’objectif publiquement affiché, la pleine manifestation de l’Esprit Saint. (Cela dit, d’autres mouvements qui se réclament du scoutisme traditionnel n’acceptent que les baptisés et les catéchumènes, pour différentes raisons.)

Ces considérations posées, voici les autres conditions que je mets à l’inscription, lorsqu’un nouveau se présente en début ou en cours d’année.

Premièrement, il faut qu’il y ait de la place dans la tranche d’âge dont je m’occupe (de quatorze à dix-sept ans). On ne peut accueillir qu’un certain nombre d’enfants par unité, et d’ailleurs ces quotas sont définis par la loi ; hélas, les chefs manquent !

Deuxièmement, le postulant doit avoir envie de faire du scoutisme, c’est-à-dire en gros, porter une chemise, un foulard, et camper sous une tente (et quelques autres choses à côté). Il n’a pas besoin d’avoir déjà été scout auparavant, car il faut bien commencer un jour. En pratique, les nouveaux sont souvent amenés par les copains, sans complètement anticiper ce en quoi le scoutisme consiste : ce n’est pas grave. Mais qu’ils croient jouer au foot ou chanter dans un chœur, témoigne d’un malentendu ! De même, un enfant qui détesterait vivre en extérieur ne restera pas longtemps dans la troupe : la nature est le seul vrai critère discriminant, à mon sens.

Troisièmement, il doit avoir une bonne condition physique. Sans reparler du handicap, un camp est déjà exigeant par l’effort et le rythme. J’ai vu des scouts repartir avant son terme, juste épuisés, sans être particulièrement malades ni infirmes : ils manquaient simplement de souffle. De tels départs prématurés sont toujours un déchirement ; les premiers weekends campés permettent de se rendre compte de ses limites.

Quatrièmement, il doit s’abstenir de contester la foi des chrétiens. On ne lui impose pas de lui-même croire en Jésus-Christ, mais on l'attend aux offices avec l’ensemble de la troupe.

Cinquièmement, il doit être disponible pour les rencontres : trop d’enfants sont malheureusement débordés par leurs très nombreuses activités, les devoirs et les obligations familiales, et c’est là pour moi une forme de maltraitance avérée. Il faut leur laisser du temps libre pour l’ennui, la flânerie, le jeu et l’inattendu. C’est pourquoi j’essaye toujours de faire déborder le scoutisme des horaires de réunion planifiés, pour qu'il devienne une pleine dimension de leur vie ; cela dit, on leur demande quand même de l’assiduité pendant l’année.

Enfin, la famille doit régler la cotisation, ce qui est une obligation administrative et marque aussi un engagement dans le groupe. Il existe des mécanismes de solidarité qui jouent en cas de difficultés financières ; malgré tout, comme dit plus haut, le milieu social reste souvent un obstacle au moins inconscient à l’intégration, que l’enfant doit surmonter par son tempérament. La frontière entre la charité et la pitié est bien maigre pour un adolescent.

A l’inverse, je ne retiens pas les critères suivants : l'origine de l’enfant, sa maîtrise du français, ses compétences ornithologiques, son casier judiciaire, ses opinions politiques, ses habitudes alimentaires, ni bien d’autres que j’oublie car je n’y fais pas attention.

Pour conclure, il y a loin du nid à l’œuf, et de l’œuf à la couvée. Les motifs de renoncement sont nombreux, et parmi tous les nouveaux que j’ai eu la joie d’accueillir pour au moins une rencontre, je n'en ai vu rester qu’une partie : deux sur trois, à peu près. Ceux qui ont simplement pris des renseignements sans donner suite, ou que j’ai refusés d’entrée pour les raisons citées au-dessus, je ne les compte pas. Certainement, j'ai échoué parfois dans l’accueil, ou j’aurais dû faire mieux, mais mon sentiment demeure que le scoutisme ne convient pas à tous les enfants, même si on doit le proposer largement : il est sélectif, non d’un point de vue social, mais de par son exigence d’aptitudes personnelles et d’une certaine force d’âme.

Père Canard

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