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dimanche 4 août 2024

De l’usage du téléphone portable sur un camp scout

 

Voilà un sujet qui, a priori, n’a pas grand’chose à voir avec les canards sauvages. Et pourtant ! Les innombrables cancans que j’entends perpétuellement à ce propos de la part des parents, adultes ou responsables scouts, me laissent à penser qu’en discuter ouvertement donnerait lieu à un débat encore plus virulent que s’il était organisé entre palmipèdes. On se vole facilement dans les plumes au nom du temps d'écran, et quiconque essaye d’argumenter une opinion un peu dissonante, tombera vite sur un bec ! Plus sérieusement, ce sujet nécessite d’exercer, de manière à développer des arguments un minimum constructifs, une qualité identique à celle nécessaire à l’étude des oiseaux : l’observation attentive.

Qu’observe-t-on, en effet, si on laisse les adolescents utiliser leur téléphone pendant un camp scout ? Que premièrement, ils restent souvent en relation très étroite avec leur famille, ou plus précisément, que ce sont leur parents qui refusent de couper le lien ! C’est l’un des risques : que la famille fasse fi de la maîtrise pour donner directement des consignes aux enfants, ou leur transmette des informations de nature à perturber le bon déroulement du camp. Il m’est arrivé de retrouver une jeune fille en pleurs au milieu des tentes : sa grand-mère venait de décéder, les parents l’en avaient informée sans prendre la peine d’en avertir les chefs ! C’est pourquoi je demande toujours aux familles, lors de la réunion d’information qui précède le camp, de signer une sorte de charte de bonne conduite qui reconnaît l’investissement des bénévoles que nous sommes. Ce n’est pas parfait comme solution, mais cela évite bien des dérapages.

Autre risque, que la consultation de leurs fils d’actualités les empêche, le soir venu, de bien s’endormir ou de bénéficier du temps de repos nécessaire, alors qu’un camp scout est généralement très exigeant physiquement parlant. C’est un souci, je le reconnais, les premières nuits ; mais ensuite, une fois que la dynamique du camp est lancée, l’aventure prend le dessus (si le camp est bien conçu, évidemment). Les tentatives de démâtage et autres expéditions nocturnes sont tout aussi difficiles à gérer pour les chefs qu’avant l’avènement des portables ! Sans compter la fatigue qui s’accumule, et qui favorise l’endormissement si la maîtrise est ferme sur le maintien de l’heure du lever.

Un autre point concerne l’accès à la bibliothèque universelle. On ne peut plus, à mon grand regret, les faire croire au dahu : ils vérifient immédiatement ce qu’il en est sur leurs téléphones avant même que l’activité ne commence. Malraux anticipait un musée imaginaire, qui reprendrait l’ensemble de la culture est des connaissances humaines, accessible à tous, comme témoin de l’immortalité de notre civilisation ; nous y sommes, même si c’est la technologie et pas le progrès social qui nous y a menés ; c’est tant mieux quand même, je crois. Il n’empêche que pour les scouts, cela a deux conséquences pratiques : d’une part, la crédibilité de la maîtrise est très facilement remise en cause. Les chefs ne sont plus des sachants tout-puissants, mais des individus ordinaires soumis à l’imprécision, à l’erreur, et donc à l’humilité de leur savoir : tant mieux aussi ! D’autre part, il n’est plus vraiment possible de plonger les enfants dans un imaginaire qui tienne toute la durée du camp : qu’on leur annonce qu’on a enlevé le Président de la République, ou que les extraterrestres ont débarqué, et ils démasquent immédiatement l’imposture. On bascule donc vers une thématique de camp, sorte de fil rouge qui lie les activités entre elles, plus que sur un rêve qui marquait une parenthèse dorée dans la torpeur de l’été : ce qu’on perd en dramaturgie, on le regagne d’autant en authenticité dans la relation, ce qui n’est pas plus mal pour rendre de jeunes adultes plus responsables.

Reste la question des rapports humains, avec toute la violence qu’elle dégage. Je suis d’accord qu’il y a un problème lorsqu’on constate que l’un des scouts est seul, isolé avec son téléphone, sans échange avec ses camarades ou sinon le strict nécessaire, et que cela se poursuit sur la durée du séjour. Cela m’est arrivé parfois, sur les camps que j’ai encadrés ; le plus souvent, en discutant avec la personne concernée, on se rend compte d’un mal-être qui dépasse largement le cadre du scoutisme. La priver de son téléphone est du même ordre qu’enlever sa canne à un aveugle : on ne résoudra pas la cause première de son comportement, mais au contraire on risque de provoquer des réactions brutales ou désespérées, comme des fugues ou pire, auxquelles nous autres bénévoles sommes bien en peine de faire face. Je n’ai pas vraiment de réponse sur de tels malaises, n’étant pas psychiatre ; je crois simplement me souvenir que Baden-Powell nous demandait de partir de ce qu’est l’enfant, avec ses qualités et ses défauts, plutôt que de ce qu’on voudrait qu’il soit. J’essaye donc, modestement, sans confisquer le portable, d’inclure la personne concernée dans les activités prévues, en comptant sur l’affection de ses camarades et le vécu du camp pour réduire un peu son addiction ; parfois cela fonctionne, et on ne me retirera pas la satisfaction que j’ai pu ressentir lorsque les jours passent et que ce gosse perdu reste de plus en plus longtemps à discuter autour du feu.

Quant aux autres, ceux qui utilisent leur téléphone comme moyen de socialisation, je ne me fais aucun souci : ils se montrent des images et des vidéos en se regroupant autour du portable de l’un d’eux, tout comme ils le font lorsqu’ils découvrent une couleuvre ou un hérisson pour la première fois au détour d’un chemin. Il y a quelques années, ils jouaient aux cartes par petits groupes lors des temps calmes, là ils commentent les derniers médias : c’est bien pareil.

Une alerte récurrente, enfin, concerne la diffusion des images et les risques d’accès aux photos du camp à des personnes mal intentionnées. Les scouts sont parfois en petite tenue, lors des douches et des bains ! Si le souci était avéré il y a quelques années, au début des réseaux sociaux, j’observe que les ados d’aujourd’hui en maîtrisent parfaitement les codes. Ils savent verrouiller la consultation de leurs photos privées, y compris aux chefs ! Et un simple rappel sur ce point au début du camp suffit à réduire amplement ce risque.

Pour terminer, et avant que les nostalgiques du scoutisme avant le portable ne me tombent sur le coin du bec, j’ai pu constater plusieurs avantages à son utilisation. Il existe des applications pour identifier les plantes sauvages, les cris d’oiseaux et d’autres éléments naturels grâce à l’intelligence artificielle ; on peut compléter (allons-y doucement) l’utilisation des cartes IGN grâce à un abonnement qui les reproduit, légalement, à l’écran, et avec le GPS en plus ; le soir venu, on peut aussi identifier les constellations ; lors des concours cuisine, une tradition sur les camps, ils ont accès à des recettes variées et bien plus riches que par le passé…

Lors du camp de cette année, nous étions en partenariat avec une association qui nous proposait des activités sur différents sites autour du lieu de vie, parmi un public nombreux et autant de touristes. Les scouts étaient donc dispersés, lors de leurs services, sur plusieurs hectares parmi une foule dense. M’imagine-t-on avec mon sifflet, appeler au rassemblement lorsque de besoin, parmi les ruelles du village et les allées des champs, attirant à moi les groupes épars un à un tel le joueur de flûte de Hamelin ? Eh bien, nous avons osé des rassemblements par WhatsApp, et j’ai vu que cela fonctionnait plutôt pas mal.

Voici donc que je considère le téléphone portable non pas comme un mal ou une nuisance, mais comme un outil : comme tout instrument, il n’est ni bon ni mauvais en soi, mais sa valeur dépend de l’usage que l’on en fait. Le scoutisme, s’il se veut un vecteur d’éducation, doit intégrer dans ses pratiques ce qui fait le quotidien des enfants d’aujourd’hui ; la méthode scoute est toujours aussi pertinente, sachons adapter sa mise en œuvre au contexte de notre époque.

Père Canard

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