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vendredi 26 janvier 2024

Du port de l’uniforme imposé aux enfants

 

    Chez les canards, la tenue est de rigueur. Les humains les reconnaissent autant à la forme et au cri qu’au plumage. De plus, on peut distinguer les colverts des mandarins, des foulques, etc. rien qu’à la couleur. Enfin, pas tout à fait : ce n’est pas vrai pour les canetons. Ils se ressemblent un peu tous, pour l’œil non averti, et n’adoptent la robe des adultes qu’à la perte du duvet. Ce n’est pas très beau, mais enfin ils n’ont pas trop le choix. Quand rôdent les chats, les belettes et les autres prédateurs, il vaut mieux se faire discret. Notons que les chances d’être croqué sont à peu près les mêmes pour tout le monde : on peut donc parler d’une tenue égalitaire.

    Est-ce transposable chez les scouts ? La force du scoutisme, c’est d’aplanir les différences à travers la chemise et le foulard. Ne nous voilons pas la face : le scoutisme s’adresse d’abord aux milieux (très) favorisés. Il y a des ouvertures, des groupes en milieu rural et des tentatives dans les quartiers populaires, c’est vrai, mais la majorité reste encore aux catho-bourgeois de centre-ville. Et pourtant… lorsque le scout ou la guide porte son uniforme, il n’y a plus de hiérarchie sociale. Les seules grades dans les unités sont obtenus par la progression personnelle, qui est individuelle et suit des règles communes, connues de tous. Si tout le monde joue le jeu, et en premier lieu les adultes qui encadrent les unités, on tend là aussi vers l’égalité. La nature, là non plus, d’ailleurs, ne fait pas de distinction : si on ne ramasse pas son bois, si on n’allume pas son feu à temps, qu’on soit enfant de ministre ou de migrant, on mangera froid. Les contraintes sont les mêmes pour tout le monde.

    Un petit rappel historique : Baden-Powell étant un influenceur de son époque, c’est lui qui a popularisé l’uniforme scout ; il reprend directement les codes militaires. Au retour de la guerre des Boers, il écrivit « Scouting for boys » et mit en place les premiers camps. Ce fut un succès mondial. Les garçons du monde entier (les filles aussi, mais un peu plus tard) virent dans sa proposition un formidable vecteur d’émancipation. Il n’y eu pas besoin d’imposer quoi que ce soit : ce sont les enfants eux-mêmes qui dépensèrent leur argent de poche en chemise beige et foulard, pour ressembler à BP, leur idole de l’époque. De la même manière, aujourd’hui, si un youtubeur fait une vidéo marrante avec un affreux pull vert, les jours d’après on voit la même horreur sur les épaules de plein de gens dans la rue : c’est exactement pareil. Après quoi, les éducateurs adultes ont suivi le mouvement et se sont mis à porter aussi la tenue, moitié par souci d’harmonisation, moitié par attachement à l’accoutrement de leurs jeunes années scoutes. L’habitude de l’uniforme est restée, l’engouement aussi ; les choses se sont institutionalisées un peu. Un siècle plus tard, la chemise a évolué, les couleurs ont changé (parfois), mais le principe est resté le même : la tenue scoute est avant tout un choix d’adhésion, elle n’a aucun pouvoir de coercition.

    Ce n’est pas vrai à l’école. Le scoutisme est choisi librement, tandis que l’école est obligatoire. Cette simple différence explique pourquoi je doute de l’efficacité de l’uniforme chez les élèves. La contestation de l’oppression fait danser l’ardeur vibrante de la révolution, et la diabolique incarnation du pouvoir par la tenue ne peut que susciter des réactions à fleur de peau.  Si l’uniforme aura la vertu de gommer les différences vestimentaires, reflet des inégalités de condition, il servira surtout à unir toute une génération dans la détestation de l’autorité et de l’Etat. On en arrive vite à la question de fond, d’ailleurs : l’école, ouverte à tous, qui était porteuse de savoirs et donc d’accès à une vie meilleure, s’est refermée sur les élèves comme les pattes d’un chat sur un caneton joli, pour leur inculquer aujourd’hui des valeurs qui ne sont plus forcément en adéquation avec les aspirations du peuple. Que le peuple ait tort ou raison, que ses motivations soient subverties ou pas, est un sujet différent, et j’en parlerai probablement dans un autre billet ; ici je constate simplement qu’il y a décalage. Donc, on ne jette pas un voile pudique sur la pauvreté du débat, aussi facilement qu’on cache les tatouages d’un bagnard avec une tenue à rayure ; car c’est bien de la misère de l’âme qu’il s’agit. Là est le vrai problème : de l’éducation républicaine, on n’espère maintenant plus rien. Quant aux Japonais, qu’on peut citer en exemple dans cette affaire, ils ont réussi à sublimer l’uniforme scolaire pour en faire un ingrédient culturel : en France, nous en sommes loin.

    Autant je suis contre le port de l’uniforme pour les élèves, autant je le suggère fortement pour les enseignants ; c’est la proposition que je veux faire dans ce billet. Par rapport aux enfants, je pars d’abord d’un sombre constat : l’école se rapproche de plus en plus d’un lieu d’enfermement, et il va falloir formaliser le rôle de ses gardiens. Puisqu’il y a décalage, la faille de plus en plus béante entre les aspirations des uns et le conservatisme des autres engendrera d’autant plus de violence, dirigée en particulier contre les enseignants. C’est pourquoi il n’y a rien d’anormal à manifester leur statut par un uniforme ; d’ailleurs, on pourra y intégrer un gilet pare-balles. La transformation des écoles en centres de privation de liberté a le double objectif, illusoire, d’empêcher les influences extérieures d’y entrer, et d’y enfermer les élèves tant qu’on n’a pas fini de leur inculquer les valeurs officielles. C’est un leurre, évidemment, mais pour le moment l’Etat y croit. Nos écoles deviendront de vraies forteresses idéologiques, dont les profs seront les kapos, au milieu d’un chaos d’idées vagues et superstitieuses. On sait bien comment les lignes Maginot finissent : tout cela n’est pas très joyeux.

    Le deuxième argument, c’est vis-à-vis des parents d’élève. La pression, toujours plus forte, qui vient des enjeux de l’orientation, engendre un discours d’autant plus agressif de la part des familles. On parle rarement à un gendarme comme une belette à un canard, car la peur de l’uniforme existe encore un peu. Le fait que les professeurs soient en tenue, lorsqu’ils s’adressent aux parents ou à toute personne extérieure à l’école, renforcera leur statut de fonctionnaire, leur prestige et rappellera indirectement le soutien de l’Etat à leur égard. C’est donc là leur offrir une certaine protection symbolique, même si de la même manière, l’intégration du gilet sera sans doute fort utile, en pratique, lors de réunions houleuses.

    Pour terminer, voici la version optimiste de la chose. Les hussards noirs portaient bien plus que des valeurs dans les villages de France : c’était l’ouverture vers un avenir meilleur. Aux enfants des campagnes, ils apportaient un savoir inaccessible autrement ; l’estime pour le professeur venait moins de son statut que des possibilités qu’il donnait à rêver. L’autorité s’impose ou bien par la peur, ou bien par le charisme personnel (ce qui n’est pas donné à tout le monde), ou bien par la différence manifeste d’expériences et de savoirs à transmettre. Que l’école suscite à nouveau l’espoir ! Alors les élèves voudront ressembler au professeur et adopteront d’eux-mêmes sa tenue.  

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