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dimanche 11 février 2024

De la majesté de Dieu

 

Une dinde, fière et de bonne allure, gloussait, fort gaillarde, chaque matin, dans l’attente du grain qui venait sans faillir. C’était à l’aube, lorsque le soleil écarquillait ses rayons, que la porte de son enclos s’ouvrait toujours, laissant passer un garçon de ferme qui lui donnait pitance ; ainsi en était-il depuis aussi longtemps que sa cervelle d’oiseau en avait gravé le souvenir. Si elle était capable de philosopher, elle aurait pu tirer de là plusieurs conclusions fameuses. D’une part, c’est donc là une loi immuable de la nature, aussi vraie que vont et viennent les jours, et que ses plumes poussent, tombent et se remplacent : tous les jours, le fermier passe la porte et lui verse son écot. D’autre part, elle en aurait ressenti une grande fierté : l’Univers est vraiment bien fait et bien ordonné, car ni l’homme ne verse la nourriture à côté, dans l’abri des canards, là où elle ne pourrait l’atteindre sans devoir se battre bec contre bec, ni on ne lui donne à la place de l’herbe ou même des clous : non, chaque jour c’est du bon grain appétissant, en généreuse proportion, qui tombe dans son écuelle. Elle est donc vraiment aimée du Créateur, puisque tout est agencé dans les moindres détails pour la rendre heureuse et la faire profiter de la vie. Cette existence-là étant organisée pour elle, et autour d’elle, n’est-elle pas, au fond, le centre du monde, et son principal sujet ? C’est pourquoi elle redressait la tête et se promenait dans le poulailler avec une grande dignité jusqu’au soir. Son raisonnement chut, hélas, et sa tête aussi, un 24 décembre : le temps d’affûter sa hache, le fermier fut en retard ; la volaille était attendue pour Noël.

L’exemple transmis par l’un de mes estimés professeurs de philosophie est d’abord une réflexion sur le principe de causalité, dans la lignée de Hume. Du jour au lendemain, les mêmes causes pourraient bien cesser de produire les mêmes effets, et la Lune par exemple nous tomber dessus au lieu de contourner à tourner joyeusement dans le ciel autour de notre belle boule ronde. Ce n’est pas, cependant, ce dont je veux causer ici. Je voulais plutôt partir de cette illustration pour insister sur le caractère fondé ou non de la louange adressée au Créateur. Dieu ne peut être que bon, puisque l’Univers est parfaitement adapté à notre espèce ; c’est ce qu’exprime le Psaume 23 (1-2) :

« L’Eternel est mon berger.

Je ne manquerai de rien.

Grâce à lui, je me repose dans des prairies verdoyantes,

et c’est lui qui me conduit au bord des eaux calmes. »

A l’inverse, que se passe-t-il dans une perspective athée ? Si Dieu n’existe pas, tout est permis, certes, mais il y a une autre conséquence : l’Univers n’est peut-être ni bon, ni préparé pour nous (c’est ce que j’appelle le principe anthropique nul), ni même exact.

Repartons de la préhistoire pour expliquer ce que je veux dire. Une tribu du Paléolithique guette le gibier, lance à la main. Elle sait que les palmipèdes viennent se poser sur cette mare, à cet endroit et à cette époque de l’année. Par chance, les oiseaux sont stupides : ils ne tirent pas de leçon de leurs défaites, contrairement à nous, les humains, qui avons appris à apprendre. La chasse sera donc facile, et le festin généreux. Mais la chance est aléatoire, or nous sommes favorisés à chaque fois : il y a donc une force supérieure à l’œuvre, qui nous est bénéfique.

Mon résumé est bien entendu simpliste, mais j’ose interpréter les peintures rupestres, au-delà de leur aspect artistique, comme une première forme d’équation logique : bien pratiquer la chasse = recevoir le gibier en abondance. Le formalisme est tout embryonnaire, mais les auteurs auraient ressenti le besoin de fixer sur les murs cette vérité empirique pour lui donner une première forme d’abstraction, de peur qu’elle ne s’efface dans la nuit. Les signes figuratifs qu’on retrouve sur les parois des grottes peuvent aussi bien tenir du domaine de la preuve : c’est une attestation, à chaque fois, et a posteriori, que la relation d’équivalence est validée entre les deux membres de l’équation. Plus ces preuves s’accumulent, et plus la crainte d’une invalidation s’éloigne ; et plus la croyance s’installe, plus la générosité du divin s’entremêle avec son rôle de garant de la véracité du monde.

Le formalisme logique, contrairement à ce qu’on pourrait croire, ne s’est pas du tout émancipé du sentiment religieux. Lorsqu’on pose une équation dont les deux membres sont égaux, il faut une caution derrière cette notion d’égalité, faute de quoi la ligne écrite perdrait toute signification. De la même manière qu’un acte de vente n’a de valeur que s’il est signé devant notaire, la valeur d’un théorème ne dépend que de la croyance dans le sens de l’écriture, de ce que l’on appelle le langage mathématique. A l’extrême, une hypothétique compréhension globale de l’Univers reviendrait à poser une équation suffisamment bien écrite pour décrire n’importe quel phénomène observable. Pour le moment, les physiciens n’y parviennent pas, car ils n’obtiennent que des résultats incohérents s’ils cherchent à mélanger les principes des deux principaux domaines d’étude (la mécanique quantique et la relativité), qui eux sont largement appuyés par l’expérience et considérés comme matures. Les chercheurs en concluent donc qu’il leur manque une théorie plus large qui les engloberait toutes les deux, une super-équation qui reste à découvrir et qui supporterait toute expérimentation ultérieure.

Je me permets humblement de suggérer qu’on n’y arrivera peut-être pas, et pour au moins trois raisons. La première est que le symbolisme mathématique n’est jamais qu’une représentation linéaire, donc réduit à une dimension, de phénomènes beaucoup plus larges. Il n’est donc peut-être pas possible de résumer toute la grandeur de l’Univers dans une expression si étroite. (Cependant, les progrès sur les ordinateurs quantiques pourraient nous permettre de gagner en largeur.) Le deuxième couac est lié à ce que j’appellerais la frontière grise, qui sera peut-être une limite à la connaissance humaine. Après tout, la science a largement progressé ces derniers siècles, nous laissant penser que parvenir à une compréhension totale de nos observations empiriques était à portée de main ; mais nous n’avons aucune certitude, finalement, de cet aboutissement éventuel sauf notre optimisme, et peut-être bien que la complexité des principes en jeu va nous bloquer à un moment donné du fait de nos capacités cognitives trop limitées. Là encore, en effet, on part du postulat tacite de la caution de Dieu, qui est bon et nous a faits capables de comprendre sa création, dont nous serions dépositaires.

La troisième raison, qui est celle qui se rapporte à notre volaille du début, est liée à notre propre rapport au monde. Y compris dans les deux arguments précédents, nous supposons que si la vérité ultime existe bel et bien, nous pourrions être empêchés de l’atteindre par différents obstacles empiriques ou cognitifs. Mais au fond, qu’est-ce qui nous empêche de considérer que l’Univers est peut-être faux ? C’est-à-dire que l’équation qui le décrit, si elle existe, n’admet pas de solution ? Ou qu'il est discordant, c'est-à-dire dirigé par deux, ou plusieurs, principes incompatibles ? Seul Dieu, un Dieu bon et généreux, nous laisse planer l’espoir d’arriver à un dénouement exact ; mais c’est une chose que de connaître les routes de migration des canards et des mammouths, et d’en louer les divinités, c’en est une autre que d’étendre le raisonnement à l’Univers tout entier. Privés de Dieu, nous n’avons aucune garantie de l’authenticité du monde à part compter sur notre baraka.

Revenons à Dieu. Le contre-argument à tout ceci se trouve bien entendu dans les Béatitudes :

Heureux les doux, car ils posséderont la terre. (Mt 5, 5)

Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu. (Mt 5, 8)

Le Dieu de Jésus-Christ est un Dieu bon et qui appelle à la bonté, pas à la froideur logique d’une conviction ou d’un raisonnement. Loin d’un troc, ses bienfaits ne sont conditionnés que par sa grâce.

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