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dimanche 10 mars 2024

Quelques portraits de scouts


Guy de Larigaudie, parlant de la profondeur de l’âme, disait ceci : « Il nous faut réapprendre la flânerie. Non pas celle où l'on promène un cœur vide et une âme sans pensée. Mais la flânerie féconde qui est comme une retraite en soi-même. » Hélas ! Lorsque je m’arrête dans un parc pour regarder les canards, je m’effare de ne jamais y croiser mes scouts. Combien parmi eux ont encore les moyens ou le temps, de s’arrêter juste pour quelques oiseaux ? Accablés par les devoirs scolaires, débordés par des activités parallèles et multiples, sollicités sans arrêt pour peu de chose et angoissés au possible par une effervescence où l’on attend tout d’eux, ils épuisent leur cœur tout le jour et n’en dorment plus la nuit. Pauvres gosses ! Le scoutisme est pour eux l’un des seuls lieux de repli où on ne les force à aucun résultat, et j’y veille.

Voici le portrait de quatre d’entre eux ; ils ont entre quatorze et dix-sept ans.

Gloria vient d’une famille de qualité. Pieuse et catholique (elle apprécie la messe en latin), elle est très proche de sa mère ; son père, un géant, parle avec une voix forte mais ne la regarde pas. Blonde, assez grande, elle s’habille de façon très bourgeoise, mais seulement avec des couleurs sombres ; elle écoute de la musique classique ; elle adore les chiens. Sa réputation est très importante pour elle, son apparence aussi. Complexée et angoissée, elle a toujours du mal à trouver le sommeil, car elle est effarée par l’idée de décevoir. Elle est suivie par un psychiatre, et pendant les camps d’été, elle a besoin d’une ordonnance : elle a déjà fait une tentative de suicide. Elle regarde les autres de façon un peu hautaine, mais c’est surtout parce qu’elle n’est pas très à l’aise dans ses bottines. Elle a toujours le sourire, mais il est figé.

Taco, garçon au physique impressionnant, est partagé entre sa dévotion envers l’Eglise catholique et romaine, et sa fascination pour l’univers de la violence et du rap. Le dimanche il sert à la messe, le soir il traîne avec des racailles. Il a déjà reçu une amende pour possession de stupéfiants, et on l’a retrouvé mêlé à des incidents divers : des dégradations et des incivilités, voire plus grave ; ses résultats scolaires sont excellents. Ses parents sont divorcés, sa mère s’occupe de lui. Il a une attitude très virile, ses propos sont grossiers et provoquants et il a beaucoup de mal dans ses rapports avec les filles. Il est extrêmement serviable dès qu’on lui demande de l’aide. Entre ciment et belle étoile, comme dit Keny Arkana, il flotte entre deux mondes, et ne parvient pas à choisir ; dans sa tête c’est la guerre, les pensées fusent comme des rafales. Charismatique au possible, les autres garçons vont le suivre dans ses lancées, pour le meilleur ou pour le pire.

Palou, doux rêveur, n’est pas très grand. C’est un bosseur et un garçon très docile, mais également très intelligent. Son père occupe de hautes fonctions ministérielles, sa mère est femme au foyer. Il a de nombreux frères et sœurs, tous scouts. Son caractère est très facile et il s’entend avec tout le monde, mais il s’affirme surtout par sa discrétion. Il n’écoute pas de musique, sauf des chants de messe ; sur le camp, on peut le surprendre pendant les temps libres avec un cahier de devoirs de vacances. Son parcours de vie est tout tracé : amis, carrière, mariage... Il voit la vie comme un grand tapis rouge, déroulé devant lui par quatre ou cinq précédentes générations, et qu’il n’a plus qu’à emprunter le cœur léger, en sifflotant des cantiques ; à moins que ne lui parvienne entre-temps une plus haute Vocation, celle de prêtre.

Brianne, fille d’agriculteurs, est entrée dans le scoutisme par hasard. C’est une jeune fille à l’esprit très pratique, qui adore les choses concrètes, mais qui n’est pas très à l’aise dans les relations mondaines. Loin d’être une bonne élève, elle fait de son mieux mais le temps lui manque pour travailler : on a besoin de son aide à la ferme et comme celle-ci est loin dans la campagne, les transports lui prennent beaucoup de temps. La foi, ce n’est pas le genre de question qui la travaille, mais cela ne la gêne pas d’aller à la messe avec les autres. Elle danse dans sa tête, elle danse dans la vie et tout le reste n’est pas très grave. Lors des sorties et des camps, sa maturité est déjà celle d’une adulte : je peux lui confier sans problème un trajet de groupe en train ou bien une carte de randonnée. Son physique n’est pas avantageux et elle n’en fait pas un complexe, d’ailleurs sa joie lors des rencontres scoutes est un vrai rayonnement pour les autres.

 

J’entends souvent dire que chaque génération est différente de la précédente, voire qu’elle est pire, mais ce n’est pas vraiment ce que j’ai observé depuis toutes ces années où je suis chef. Qu’importent les « usages du numériques », à quinze ans on s’émerveille toujours autant devant un envol de colverts sur un lac, ou un coucher de soleil, pour peu qu’on les laisse les regarder ! Ce que viennent surtout chercher tous ces garçons et filles dans le scoutisme, c’est un endroit chaleureux, où ils puissent librement discuter avec leurs pairs ; et avant toute chose, où ils aient la place pour rêver. Je vois mon rôle de chef ainsi : élargir le cadre, le temps, l’espace ; pousser les obstacles qui empêchent de courir, de jouer, de crier fort ; écarter les toiles des tentes, pour qu’on s’y sente à l’aise, et libre, et bien.

La pédagogie en vigueur dans la branche a ceci de malheureux, qu’elle tend à rentabiliser le peu d’heures disponibles lors des rencontres, à tel point qu’on n’y a jamais le temps de tout faire ; mais les moments qui sont le plus appréciés, ce sont justement ceux où il n’y a pas d’agenda. C’est l’heure des rêveries et des discussions sans lendemain, aux antipodes du productivisme. Au coin du feu, dans le fond de la salle ou sous les étoiles, c’est alors que l’on forge des amitiés vraies, car c’est une chose de voir quelqu’un d’efficace en action autour d’un projet, c’en est une autre que d’oser se confier à une âme sincère. Le temps libre n’est pas qu’une opportunité, c’est une évocation de l’essentiel.


Père Canard

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