Qui suis-je, et pourquoi ce blog ?

       Avant toute chose, une précision importante : toutes les opinions que j'exprime ici n'engagent que moi. Je ne suis le porte-p...

samedi 30 mars 2024

De la désignation des représentants du Peuple


Gaël Pendard, marchand de volailles au duché de Bretagne, s’en allait par routes et chemins à Paris pour y vendre oies et poulailles de son pays, vivantes et bien grasses. Deux mules, apprêtées pour l’occasion, renâclaient au bâton tout en faisant chuinter le mors ; la volaille claquait craintivement et se perchait au mieux dans les cages mal ficelées ; le vent soufflait fort. Alors que l’équipage franchissait un croisement, il prit à notre bon commerçant l’envie urgente de s’arrêter au calvaire, entre autres pour y dire le chapelet et invoquer Saint Christophe. Un colporteur, ravi de trouver en ces lieux autre compagnie que celle des loups hurlant au loin, adressa le compère d’une voix fracassante :

 « Holà, camarade ! Ouïtes-vous la congrégation familière des associés du galvaudage ? Le bon comte, Dieu le bénisse, a donné gage et permission d’élire un commis, comme garant des bonnes mœurs que les hommes du pays doivent à Dieu et au Roy.

 _ Deux fois l’an, dit Pendard, je prends le bâton et mène ma troupe de basse-cour au comté, pour y vendre oiseaux caquetants et délicatesses amusantes. J’entends tant dire au sujet des hommes de bien, mais que me vaut le ramage d’un homme qui n’est point Breton ?

_ La terre que grattent vos oisons, dit l’autre, donnerait-elle plus de poids à la parole d’un arrogant que la caution d’un honnête homme ?

_ Bah ! dit-il, que fait un bon commis ? Rend-il sou pour sou à ceux qui lui quémandent justice ? Fait-il l’aumône trois fois l’an, à Pâques, à Noël, et à la Toussaint ? Prêche-t-il pour défendre ses ouailles et le contenu de leur coffre, auprès des provinces, en Artois, en Champagne, ou même en Gévaudan ?

_ Dieu me garde d’aller en Gévaudan ! Les loups y sont terribles, à ce qu’on dit, et c’est sans parler des autres bêtes !

_ Alors, ne vous portez point au scrutin, mon ami ! Entendez-moi bien : chaque pays est une cause qui mange un homme ! Si vous ne périssez point des couteaux des jaloux, vous serez la proie des crocs, de la pestilence, ou encore des autres fléaux de la route, ou juste de la mauvaise ripaille ! Le pouvoir est une affaire de paladins : il faut être Roland sur son cheval, taillant de gauche et de droite, tout en gardant corps intègre et cœur pur. Et encore, lui-même fut trahi à la fin ! Non, non, pour nous gens de peu, laissons la fortune aux rois, et le choix des comtes et marquis, à Dieu ! Qu’ils portent un Breton, cela me suffit. J’ai assez à faire avec mes oies grasses. »

 

C’était il y a quelques siècles, c’était même hier. En voyant passer des vols d’oiseaux migrateurs, je me rappelle toujours ce fait étonnant : un canard sauvage peut vivre plus de quarante-cinq ans. Il suffit de dix ou douze pontes, en lignée continue, pour nous relier à ce temps-là…

                Autre considération, non moins surprenante : aujourd’hui encore nos députés sont élus par circonscription, selon un découpage plus ou moins arbitraire. La logique voulait, en effet, qu’un territoire qui possède une certaine unité culturelle, économique ou sociale, sélectionne le meilleur des siens pour être représenté auprès de la Nation : c’est ce qu’on justement construit les Républiques successives au fur et à mesure que s’affinait le mode de scrutin. Ce fut fort pertinent à une époque, celle des chevaux, des pigeons voyageurs et des trajets qui prenaient des jours entiers ; mais alors que la communication est maintenant instantanée, le critère géographique est-il encore le plus judicieux ?

                La désaffection des citoyens pour les élections nationales se constate suffrage après suffrage. Des politologues bien plus savants que moi lui ont attribué des causes multiples : faiblesse des arguments de campagne, déconnexion de l’élite politique du reste de la population, incapacité d’influer sur les conjonctures d’ampleur mondiale… Tout ceci est certainement vrai, mais je me demande quand même s’il ne faut pas y ajouter le caractère désuet de notre représentativité locale.

Une communauté d’individus se caractérise par des centres d’intérêt partagés : la langue ou le patois, la profession, la pratique de la religion, le niveau de richesse… Il y a quelques vies de canard sauvage auparavant, tous ces critères coïncidaient à peu près avec un terroir : on était marins à Douarnenez, on allait tous à la messe ensemble et on causait tous du prix de la sardine. De nos jours, on peut très bien s’estimer Breton, faire ses études au Canada et s’intéresser à la culture japonaise et au végétarisme sans rien renier de ses origines ; et pourtant, on va vous faire voter à l’ambassade sur la liste des Français de l’étranger.

                Ma proposition est donc celle-ci : qu’on utilise d’autres facteurs communs que la résidence pour regrouper les électeurs. On pourrait conserver un ou deux députés par département ; mais pour le reste, il sera possible aussi de voter par classe d’âge, par quotient familial, par catégorie socioprofessionnelle, par croyance ou par convictions culinaires… tout ce qu’on voudra ! Bien sûr, cela complique le principe de vote : il y aura d’autant plus de listes et de bulletins à mettre dans l’urne. Mais d’un autre côté, le lien avec les élus en sortira renforcé.

                La difficulté évidemment, est de sélectionner les critères qui justifient ou non une campagne et un scrutin ; certains apparaîtront anecdotiques ou douteux. Pour trancher, il faudrait réfléchir à l’ambiguïté fondamentale d’un élu : elle ou il est issu d’une certaine partie de la population mais vote des lois qui s’appliquent à l’ensemble. Il représente donc une culture particulière, qui doit négocier des compromis avec ses pairs dans l’intérêt général : c’est le principe de la politique. J’entrevois donc de séparer le fait culturel du fait politique. Il faudrait tendre vers une Assemblée représentative mais détachée des intérêts particuliers, orientée seulement vers le bien commun.

                Une nation n’est pas une agrégation de territoires, mais d’élans culturels, de regroupements d’individus par intérêts qui coïncident parfois selon une répartition géographique, mais de façon contingente. Une personne, un citoyen, est défini par son rattachement à un ou plusieurs pôles culturels qui reflètent son activité et ses choix de vie : un pour la Bretagne, mais un aussi pour les étudiants, et encore un pour la culture japonaise, et encore un autre pour le végétarisme. La seule différence, c’est que ces derniers n’ont pas de compétence territoriale ; mais rien ne nous empêcherait de les structurer de façon plus formelle.

               

                Il faudra évidemment beaucoup d’observations de canards sauvages pour arriver à une mise en pratique de cette idée que je jette comme un pavé dans la mare.  

Père Canard

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire